Post by Rodolphe on Oct 30, 2012 13:49:59 GMT 1
Dans "Ça va jazzer" - Blues, swing & cool -
"MAGMA, le manà du jazzman" par Bruno Pfeiffer.
jazz.blogs.liberation.fr/pfeiffer/2012/10/magma-le-man%C3%A0-du-jazzman.html
27/10/2012
"MAGMA, le manà du jazzman"
Magma évoque une puissance surnaturelle, le manà des peuples primitifs. De son
fondateur Christian Vander, assis en short de pêcheur à la ligne/casquette
Rambo, à l'accueil du Holiday Inn-Porte de Pantin, émanent sérénité, équilibre
et détachement. Le meneur du meilleur groupe de rock progressif français des
années 70 est sur le chemin du studio pour répéter avec les musiciens. Il a
réglé l'esprit sur la cadence des morceaux. Il y a trois ans, notre conversation
avait duré quatre heures. J'apprécie l'échange avec Vander. L'artiste montre
beaucoup d'écoute. Ne se règle pas sur le mode "déclaration". Mon entrée en
matière ("aucun de tes albums ne m'a enchanté comme Félicité Thösz, sorti cet
été") comble le compositeur. Pourtant, je me retiens. J'aurais pu lui annoncer
que le concert de Magma le 30 août a volé la vedette du festival de La Villette
(avec un ONJ-cuvée Wyatt très convaincant en première partie ce soir-là). Un
signe ne trompe pas : le public sortait ébloui, chaque visage traversé par la
banane. Personne ne s'est soucié de la cocasserie : Magma ne figurait même pas
sur l'affiche officielle du festival collée sur tous les murs...
Sauf grève générale ou insurrections urbaines, je m'envolerai vers Les Lilas, à
la fin novembre, pour rêver à la planète Kobaïa, l'espace de l'une des quatre
soirées programmées au Triton. Kobaïa, résidence dans les nuages de Monsieur
Vander. Le leader allonge les jambes. Il aurait pu bâtir un fonds de commerce à
la sortie du disque-culte Mëkanïk Dëstruktïv Kömmandöh, en 1973. Le natif de
Nogent-sur-Marne s'y est refusé ("A quoi bon? C'était fait").Taraudé par
l'ambition d'harmonie avec ses objectifs. Aujourd'hui, l'amoureux de John
Coltrane, le modèle absolu, savoure, conscient d'avoir rapproché les mondes
éloignés. Mélodies rafraîchissantes, dentelles de grooves en cascades,
architectures grondantes, ivresse programmée : Félicité Thösz ensorcelle.
Sentiment de ravissement unanime chez les confrères, de surcroît, pour les 32
minutes de l'album. Le dessert d'un festin dosé avec mesure (12 CD).
INTERVIEW CHRISTIAN VANDER
Satisfait du dernier disque?
Quand on me demande quel est le disque le plus représentatif de Magma, je
conseille celui-là. Je le perçois comme le plus simple des disques du groupe.
Une détente. Le plus délassant. L'entrée en matière idéale.
Comment as-tu composé Félicité Thösz ?
Sur un rite : j'ouvre sur un temps fort. Ensuite, les ruptures ventilent la
musique dans plusieurs directions. J'ai réservé le suprême de mes connaissances
aux mélodies. Les rythmiques se sont révélées naturellement. Depuis toujours, je
commence les compositions sur une tension, voire une souffrance. Puis la musique
s'évade. Après, je me concentre sur ce que je veux exprimer par le son.
Chaque album ressemble à une étape.
Comme John Coltrane. Quand il a enregistré A Love Supreme, en 1964, tout le
monde a aimé. Son entourage lui a confirmé qu'il tenait un tube. Qu'il avait
trouvé le truc. Qu'il pouvait s'arrêter dessus. Cela ne s'est pas passé comme
ça. Coltrane a ouvert des portes. Il n'a pas voulu les fermer. Il a continué la
quête. J'emprunte la voie.
Que réponds-tu à ceux qui affirment que Magma, ce n'est pas du jazz?
Ils ont raison. Le jazz revient à une forme, sur laquelle les artistes
improvisent. Mon répertoire ramènerait davantage à une atmosphère, avec des
passages de liberté.
Que penses-tu du groupe anglais King Crimson, contemporain de Magma première
mouture?
Connais pas. Chez ma mère, j'écoutais uniquement du jazz. Puis, je me suis
immergé dans Magma. J'échappais au contexte musical. Le bon, hélas, mais
également le mauvais. L'attitude m'a préservé. Dans les festivals, j'entendais
les formations à la même affiche que nous. Je ne prêtais aucune attention aux
autres. Un jour, dans un club, le patron me présente Eric Clapton. Un pote
m'avait fait écouter les disques. Des chevauchées de guitare. Je tenais deux
minutes. Clapton m'a témoigné son enthousiasme. Il avait passé l'intégralité du
concert à côté de la batterie. Je lui ai demandé ce qu'il écoutait à l'époque de
Cream. Il annonce : John Coltrane. J'ai fait des yeux ronds comme des billes,
mais la réponse m'a parue évidente.
Le batteur de Cream, Ginger Baker, avait défié Elvin Jones, son homologue chez
Coltrane...
Défier Elvin, quelle blague! Ou quelque chose l'a rendu fou. Elvin, c'est la
férocité incarnée. Plutôt affronter un tigre à mains nues. Avec Coltrane, Elvin
jouait au scalpel : chaque micro-seconde comptait. Il ne consacrait aucune
fraction d'énergie à autre chose que le jeu. Rien que pour saisir l'approche
d'Elvin, il m'a fallu des années. Faut pas prêter attention à la bravade de
Baker : la provocation était l'une des caractéristiques de l'époque.
Led Zeppelin, Les Who, tu en avais entendu parler...
Sans doute, mais je ne connais pas la moindre mesure de ces gens. Mon truc,
c'était les chanteurs. Ma mère était la seule amie blanche de Billie Holiday.
J'écoutais énormément Billie. De la même façon, Edith Piaf, Henri Salvador, me
mettent dans un état pas possible. Je pars de là : de l'émotion produite par les
voix. Le reste importe moins.
Comment occupes-tu les loisirs?
Je dessine. Je peins des pastels. La peinture à l'huile, c'est trop long.
Bruno Pfeiffer
CD - Félicité Thösz (Seventh Records/Harmonia Mundi)
Coffret de 12 CD chez Harmonia Mundi
CONCERTS : du 20 au 24 novembre au Triton (Les Lilas - 93, à la sortie du Métro
Mairie des Lilas)
Photos : Anne Lenormand pour Libération
Rédigé le 27/10/2012 à 13:47 dans Coltrane, jazz vivant, Magma
"MAGMA, le manà du jazzman" par Bruno Pfeiffer.
jazz.blogs.liberation.fr/pfeiffer/2012/10/magma-le-man%C3%A0-du-jazzman.html
27/10/2012
"MAGMA, le manà du jazzman"
Magma évoque une puissance surnaturelle, le manà des peuples primitifs. De son
fondateur Christian Vander, assis en short de pêcheur à la ligne/casquette
Rambo, à l'accueil du Holiday Inn-Porte de Pantin, émanent sérénité, équilibre
et détachement. Le meneur du meilleur groupe de rock progressif français des
années 70 est sur le chemin du studio pour répéter avec les musiciens. Il a
réglé l'esprit sur la cadence des morceaux. Il y a trois ans, notre conversation
avait duré quatre heures. J'apprécie l'échange avec Vander. L'artiste montre
beaucoup d'écoute. Ne se règle pas sur le mode "déclaration". Mon entrée en
matière ("aucun de tes albums ne m'a enchanté comme Félicité Thösz, sorti cet
été") comble le compositeur. Pourtant, je me retiens. J'aurais pu lui annoncer
que le concert de Magma le 30 août a volé la vedette du festival de La Villette
(avec un ONJ-cuvée Wyatt très convaincant en première partie ce soir-là). Un
signe ne trompe pas : le public sortait ébloui, chaque visage traversé par la
banane. Personne ne s'est soucié de la cocasserie : Magma ne figurait même pas
sur l'affiche officielle du festival collée sur tous les murs...
Sauf grève générale ou insurrections urbaines, je m'envolerai vers Les Lilas, à
la fin novembre, pour rêver à la planète Kobaïa, l'espace de l'une des quatre
soirées programmées au Triton. Kobaïa, résidence dans les nuages de Monsieur
Vander. Le leader allonge les jambes. Il aurait pu bâtir un fonds de commerce à
la sortie du disque-culte Mëkanïk Dëstruktïv Kömmandöh, en 1973. Le natif de
Nogent-sur-Marne s'y est refusé ("A quoi bon? C'était fait").Taraudé par
l'ambition d'harmonie avec ses objectifs. Aujourd'hui, l'amoureux de John
Coltrane, le modèle absolu, savoure, conscient d'avoir rapproché les mondes
éloignés. Mélodies rafraîchissantes, dentelles de grooves en cascades,
architectures grondantes, ivresse programmée : Félicité Thösz ensorcelle.
Sentiment de ravissement unanime chez les confrères, de surcroît, pour les 32
minutes de l'album. Le dessert d'un festin dosé avec mesure (12 CD).
INTERVIEW CHRISTIAN VANDER
Satisfait du dernier disque?
Quand on me demande quel est le disque le plus représentatif de Magma, je
conseille celui-là. Je le perçois comme le plus simple des disques du groupe.
Une détente. Le plus délassant. L'entrée en matière idéale.
Comment as-tu composé Félicité Thösz ?
Sur un rite : j'ouvre sur un temps fort. Ensuite, les ruptures ventilent la
musique dans plusieurs directions. J'ai réservé le suprême de mes connaissances
aux mélodies. Les rythmiques se sont révélées naturellement. Depuis toujours, je
commence les compositions sur une tension, voire une souffrance. Puis la musique
s'évade. Après, je me concentre sur ce que je veux exprimer par le son.
Chaque album ressemble à une étape.
Comme John Coltrane. Quand il a enregistré A Love Supreme, en 1964, tout le
monde a aimé. Son entourage lui a confirmé qu'il tenait un tube. Qu'il avait
trouvé le truc. Qu'il pouvait s'arrêter dessus. Cela ne s'est pas passé comme
ça. Coltrane a ouvert des portes. Il n'a pas voulu les fermer. Il a continué la
quête. J'emprunte la voie.
Que réponds-tu à ceux qui affirment que Magma, ce n'est pas du jazz?
Ils ont raison. Le jazz revient à une forme, sur laquelle les artistes
improvisent. Mon répertoire ramènerait davantage à une atmosphère, avec des
passages de liberté.
Que penses-tu du groupe anglais King Crimson, contemporain de Magma première
mouture?
Connais pas. Chez ma mère, j'écoutais uniquement du jazz. Puis, je me suis
immergé dans Magma. J'échappais au contexte musical. Le bon, hélas, mais
également le mauvais. L'attitude m'a préservé. Dans les festivals, j'entendais
les formations à la même affiche que nous. Je ne prêtais aucune attention aux
autres. Un jour, dans un club, le patron me présente Eric Clapton. Un pote
m'avait fait écouter les disques. Des chevauchées de guitare. Je tenais deux
minutes. Clapton m'a témoigné son enthousiasme. Il avait passé l'intégralité du
concert à côté de la batterie. Je lui ai demandé ce qu'il écoutait à l'époque de
Cream. Il annonce : John Coltrane. J'ai fait des yeux ronds comme des billes,
mais la réponse m'a parue évidente.
Le batteur de Cream, Ginger Baker, avait défié Elvin Jones, son homologue chez
Coltrane...
Défier Elvin, quelle blague! Ou quelque chose l'a rendu fou. Elvin, c'est la
férocité incarnée. Plutôt affronter un tigre à mains nues. Avec Coltrane, Elvin
jouait au scalpel : chaque micro-seconde comptait. Il ne consacrait aucune
fraction d'énergie à autre chose que le jeu. Rien que pour saisir l'approche
d'Elvin, il m'a fallu des années. Faut pas prêter attention à la bravade de
Baker : la provocation était l'une des caractéristiques de l'époque.
Led Zeppelin, Les Who, tu en avais entendu parler...
Sans doute, mais je ne connais pas la moindre mesure de ces gens. Mon truc,
c'était les chanteurs. Ma mère était la seule amie blanche de Billie Holiday.
J'écoutais énormément Billie. De la même façon, Edith Piaf, Henri Salvador, me
mettent dans un état pas possible. Je pars de là : de l'émotion produite par les
voix. Le reste importe moins.
Comment occupes-tu les loisirs?
Je dessine. Je peins des pastels. La peinture à l'huile, c'est trop long.
Bruno Pfeiffer
CD - Félicité Thösz (Seventh Records/Harmonia Mundi)
Coffret de 12 CD chez Harmonia Mundi
CONCERTS : du 20 au 24 novembre au Triton (Les Lilas - 93, à la sortie du Métro
Mairie des Lilas)
Photos : Anne Lenormand pour Libération
Rédigé le 27/10/2012 à 13:47 dans Coltrane, jazz vivant, Magma